Au Louvre, j’aime quand G2LoQ, ou comment derrière ce code se trouve une astuce de peintres bien connue que je m’empresse de vous dévoiler. Et oui, pour toi lecteur je suis prêt à briser le serment secret du G2LoQ.
Donc vous êtes un artiste peintre qui sifflotez dans votre atelier, parce qu’un artiste peintre sifflote toujours dans son atelier. Le temps est encore beau malgré les soirées un peu fraîches, soudain déboule le grand Chambellan en personne : « Dis donc le barbouilleur, tu as deux heures pour rassembler tes pigments, tes pinceaux, tes tubes et tes toiles, le roi veut te voir. Et que ça saute… Un conseil, prends une douche, tu pues. » C’est le problème des Grands Chambellans, toujours à se donner des airs, à parler aux grands avec servilité et avec dureté aux petits.
La douche, le matériel et deux heures après vous vous retrouvez devant le roi. Il s’agit d’une licence historique autant que poétique ; vous pouvez remplacer le roi par un tsar, une grande duchesse, une reine, un potentat religieux, on s’en fout, mais ici ce sera un roi. « Ah machin (un roi peut ne pas se souvenir de votre nom, ne vous en offusquez pas), nous aimons beaucoup ce que vous faites (c’est un Nous … de majesté, la moindre des choses quand on est roi, en fait il parle juste pour lui, ne pensez pas que la cour toute entière vous admire, au contraire, elle vous déteste). Nous aimons votre Vierge à l’enfant (pas de commentaire, même si vous n’avez jamais peint la moindre Vierge à l’enfant), votre Radeau de la Méduse (toujours pas de commentaire même si à l’époque le bois qui constituera la Méduse n’était encore qu’un gland), bref on a fait des travaux récemment et nous voulons vous confier la décoration du mur du fond. Certains penchent pour le crépi, d’autres pour de l’uni, Nous, nous verrions plutôt une scène de genre. Nous aimons les crèches. Nous voulons une crèche. Vous nous peindrez donc une crèche. »
Et le roi se barre, il n’a pas que ça à faire, il est roi. Et vous voilà face à un mur de trois mètres de large sur cinq de haut. Bon alors pour occuper la largeur vous voyez déjà le troupeau de bergers, venu côté jardin, faire risette à l’enfant nouveau ; là, dans le coin, un petit rocher ; ici l’âne et le bœuf ; enfin un petit palmier pour faire joli et rappeler l’Orient. Mais votre souci c’est la hauteur ! Une crèche c’est du torchis, un vague toit en paille et point. Même à l’échelle il vous reste trois bons mètres à occuper. Vous vous creusez la tête sur la façon dont vous allez combler le vide. Vous imaginez percher la crèche sur quelques monticules pour gagner une quinzaine de centimètres. Vous allez mettre une oasis avec encore des palmiers, mais vous êtes loin, bien loin, des cinq mètres, cela va faire vide. Même avec une immense étoile du berger il vous reste encore un paquet de vide sur le mur.
Dans le brouillard le plus complet, vous composez le 0 800 800 800 et dites IDEESPEINTURES. La réponse ne se fait pas attendre pour deux euros soixante (hors coût d’un SMS), vous recevez comme réponse : ANGES. Et oui, les anges ne sont qu’une astuce des artistes pour barbouiller le haut des tableaux. D’ailleurs, regardez bien ces deux tableaux, l’un a été peint à une époque où la France était fille aînée de l’Église, l’autre à une période où la France emprisonnait le pape. Notez que la vertu première de la religion est de combler le vide !
Voici quelques exemples de la fameuse technique dite du « bouchage de trou à l’angelot ».
Mais alors d’où viennent les anges ? Dehors pour celui qui a fredonné « …dans nos campagnes… ». Je parle de la provenance des anges au sens pictural, pas théologique ou géographique. C’est en 1042 au concile de Los Angeles que l’ange est né. Son poids, son envergure, son diamètre, sa hauteur, sa largeur ont été définis et validés avant d’être déposés à l’IIPA (l’Institut International de la Propriété Angélique). STOP ! Ce n’est pas vrai. En fait les anges sont une adaptation du Éros grec, adorable petite boule poils qui traîne toujours avec Aphrodite. Je vais faire vite et ne pas entrer dans les guerres picrocholines pour savoir si Aphrodite est ou n’est pas la mère d’Éros. Donc Éros est représenté ailé, arqué, désapé et toujours à mater. Ce qui est une assez bonne définition de nos anges.
Les ailes c’est bien pratique pour les cieux et cela plait beaucoup à l’Église qui, au moment où elle remplace les dieux gréco-latins par un acrobate de Nazareth et calque ses pratiques sur des cultes déjà existants (La Saint-Vincent sur les Bacchanales, Noël sur les Saturnales, les rogations, etc). Ainsi le petit Éros devient un ange. Le dieu de l’Amour pour une religion qui a basé son commerce sur l’amour, cela se tient. Au départ si on conserve les ailes, on va préférer cacher sa nudité voir la nier. Et voici donc nos premiers anges qui viennent combler les vides et ce dès les premiers tableaux.
Mais l’ange en peinture c’est le même principe que le chaton sur le net. Plus c’est petit, plus c’est mignon. Faite l’expérience, postez une photo de chaton, puis celle des angelots de Raphaël vous aurez grosso modo le même nombre de Like. Donc l’angelot comme le chaton font florès sur les internets.
Et pourtant délicieux naïfs, l’angelot, s’il devait se rapprocher d’une boule de poils serait plus proche du Gremlins que du minou. Je ne sais quel peintre a décidé d’enfreindre une des trois règles sacrées des Gremlins (Ne jamais les mouiller, Ne pas les exposer à la lumière du jour, Ne jamais les nourrir après minuit) mais depuis, les angelots, comme les Gremlins, sont devenus moches. Mais moches à des degrés difficilement envisageables, la peau flasque, le cul bas, le ventre bedonnant. A se demander quelle lubie a poussé les peintres à les représenter de façon si disgracieuse.
Mais si l’angelot n’était que laid ! Il est souvent d’une méchanceté sans nom, doublée d’un vice dans le regard presque angoissant. Sous prétexte qu’il est doté d’un arc il se prend souvent à tirer sur tout ce qui bouge. Le mal semble être sa vraie nature. D’ailleurs c’est une armée d’angelots dotés de la lame flamboyante d’une épée qui interdit à Adam l’accès à l’arbre de vie après qu’il ait croqué la pomme.
Que faire si jamais on vous offre un angelot ? D’abord respectez les fameuses trois règles des Gremlins évoquées plus haut. Ensuite, mettez-leur un slip, au risque de voir une bistouquette passer au-dessus de votre assiette pendant le dîner (car il n’y a qu’au sein de l’Église que les anges n’ont pas de sexe, en peinture ils peuvent allégrement faire des concours de celui-qui-pissera-le-plus-loin). Si vous héritez d’un angelot vous pouvez, comme Cocteau, décider de l’enculer quand il passera, mais là nous parlons de poésie, je suis moins calé. Non la seule vraie chose à faire avec un angelot c’est de lui foutre un instrument de musique dans les mains. Je ne sais si c’est le fait d’évoluer dans un univers tridimensionnel mais ils semblent avoir le rythme dans la peau. Et puis pendant ce temps il ne terrorise pas ses congénères.
Si vous vous inquiétez de laisser votre angelot seul quand vous partez travailler, rassurez-vous. C’est laid, c’est méchant, c’est vicieux, mais sa plus grande activité c’est de ne rien foutre du tout. Comme un chat ça roupille et ça glande à longueur de journée.
Pouvez-vous customiser votre angelot ? Initialement j’aurais répondu non. Pour moi l’angelot de série est livré avec une paire d’ailes blanches non modifiable. Alors quelle ne fut pas ma surprise de constater que de multiples propriétaires ont largement pimpé leur volatile. Vous avez donc des angelots qui arborent des ailes aux couleurs de clubs sportifs préférés :
Vous avez aussi les propriétaires jivaros qui se limitent à la tête, je trouve cela glauque :

Triomphe et révélation du mystère du Saint Sacrement lié à celui de la Trinité de Bertholet Flemalle
Vous avez les propriétaires bling-bling qui ne peuvent se limiter à une seule paire d’ailes et qui en ajoutent deux ou trois, rien que pour faire leur crâneur :
Faut-il faire dormir votre bestiole ailée dans une cage ? Je répondrai oui. Une cage avec un os de sèche et une balancelle ! Non mais c’est de la connerie, un angelot n’est pas un canari ; c’est technique, cela s’appelle la portance. Pour soulever le gros cul d’un angelot il faudrait une paire d’ailes avec une envergure bien supérieure à celles représentées par les peintres. Un aigle cela pèse une dizaine de kilos pour deux mètres d’envergure. Donc pour un ange de cinquante kilos il faudrait dix mètres d’envergure. A peine les ont-ils déposés sur les planches / Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux / Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches / Comme des avirons traîner à côté d’eux. Ce n’est plus un angelot, c’est l’albatros.
Si vous êtes peintre, confronté à un problème de place pour combler des zones un peu vides dans votre tableau ; si vous êtes une midinette qui veut mettre une jolie photo mignonne sur les réseaux sociaux ; si vous êtes un couple de beaufs qui veulent décorer leur faire-part de mariage ; alors l’ange est fait pour vous. Pour tous les autres les anges ne servent à rien. En plus ils prennent la meilleur part de l’armagnac.
Enfin à ceux qui me reprocheront d’avoir tout mélangé : anges, angelots, archanges, chérubins, séraphins, je répondrai qu’à l’âge de lire des blogs sur les œuvres du Musée du Louvre, vous avez peut-être autre chose à faire que compter le nombre de plumes que des bébé grassouillets se foutent dans le cul. Et si vous ne me croyez pas, venez voir.
Les anges à plusieurs ailes, ce sont les chérubins et les séraphins…
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Désolé, pas ornithologue dans l’âme.
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