Alexandre et Diogène

Au Louvre, j’aime Alexandre et Diogène de Pierre Puget. Ou comment une simple sculpture va vous en apprendre d’avantage sur la géographie, l’étymologie, l’éthologie, l’anecdotologie, l’hellenologie, la luccinologie et la philosophie. Et accessoirement me permettre de saluer le talent de Pierre Puget.

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Car il suffit que je vous jette le nom de Diogène en pitance pour chacun grogne d’impatience, tel un chien sur son os, de sa petite anecdote concernant le monsieur. Pour les autres qui n’ont pas la chance d’avoir une anecdote sur Diogène, sachez que ce prénom chez les grecs, c’est un peu comme les Kévin dans le Nord. Vous tapez dans une amphore et il en sort dix : Diogène de Phénicie, Diogène d’Apollonie, Diogène de Smyrne, Diogène de Babylone, Diogène de Tarse, Diogène de Judée, Diogène d’Œnoanda, Diogène Laërce, Diogène de Ptolémaïs, Diogène de Grenoble ou Diogène d’Arras. Celui du jour c’est Diogène de Sinope parce qu’il est né à Sinope. Et oui lecteur, on se fait toute une montagne de la philosophie grecque alors que c’est en fait si simple.

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

C’est cadeau, ça fait plaisir alors voici pour vous Diogène en grec se prononce Diogénês, cela vous permettra de briller en société à l’occasion des fêtes de fin d’année. Diogène de Sinope est aussi surnommé Diogène le Cynique. Là je sens les plus faibles trouver que la philosophie grecque n’est pas aussi simple qu’annoncé et qu’au contraire, cela se complique beaucoup. En fait cynique vient du grec, c’est la racine du mot chien (qui a donné le cynodrome ou cynégétique) et Diogène est le plus bel exemple du cynisme ; tant pour sa vie de chien que pour son mépris des conventions sociales, de la bienséance, de l’ordre, de la morale ou de l’autorité. Bref, un fou selon Platon qui reste plus connu pour ses banquets que ses bons mots.

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Diogène vivait nu dans une jarre, et non un tonneau. Pour l’anecdote nous devons les tonneaux aux goths, les grecs utilisaient la jarre ou l’amphore pour stocker leurs liquides. Diogène se baladait en plein jour dans l’Acropole avec une lanterne à la recherche de « l’homme ». Il mendiait auprès des statues pour s’entraîner à accepter le refus. Il devint rapidement l’attraction locale du moment, la presse se presse et le presse de répondre à des questions telles que « Comment lutter contre la tentation de chair ? » Là, joignant le geste à la parole, Diogène se branlait, regrettant juste qu’en se frottant le ventre de la même manière il ne puisse assouvir sa faim. Vous voyez le personnage. Le bon client rêvé pour la télé. Mister Buzz à chaque apparition.

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Fils d’un banquier accusé de fabriquer de la fausse monnaie, il avait quitté Sinope pour Athènes, qui est alors the place to be du moment. Puis il fut fait prisonnier par des pirates et vendu à Corinthe. C’est là qu’il croise (et non à Athènes) Alex (il s’agit bien sûr d’Alexandre le Grand) et que se tint un dialogue qui traversa les années, les siècles, les millénaires, je vous laisse donc mettre toutes les pincettes qu’il faut sur sa véracité. Alexandre le Grand : « Demande-moi ce que tu veux, je te le donnerai. » Diogène : « Ôte-toi de mon Soleil. » Alexandre : « N’as-tu pas peur de moi ? » Diogène : « Qu’es-tu donc ? Un bien ou un mal ? » Alexandre : « Un bien. » Diogène : « Qui donc pourrait craindre le bien ? » Bon je raconte mal mais Luccini il vous fait deux heures sur ces trois lignes. Vous voyez à quoi vous avez échappé ! Parce que Diogène c’est E-NOR-ME !

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Il faut dire qu’entre Alexandre et Diogène, il y a comme un contentieux. Quand Alexandre était Le Petit, c’est son père, Philippe de Macédoine, qui gérait la boutique. Fifi avait fait prisonnier Diogène après la bataille de Chéronée. Et oui, vous viviez heureux sans connaître Chéronée, ni même savoir qu’une bataille s’y était tenue. C’est dingue la vie ! Donc devant Alexandre, le plus cynique des philosophes n’avait pas l’intention de faire la courbette. Alexandre qui aurait dit (2 300 ans ont passé, prenons cet aveu avec circonspection, distance et des pincettes) : « Si je n’étais Alexandre, je voudrais être Diogène. » Faut-il voir sous cet aveu la volonté d’Alexandre de se balader nu ? A poil, aurait-il conservé son surnom de Le Grand ?

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Pour en finir sur Diogène, il mourut de mille façons. Le temps s’est chargé d’imaginer des fins diverses et variées : D’une morsure de chien à qui il aurait voulu piquer un os, d’une indigestion de poulpe avalé cru, d’un pari d’arrêter de respirer, d’un abus de kryptonique, d’un selfie dangereux sur le bord d’une falaise. Chaque génération a inventé sa mort de Diogène pour la faire correspondre à ses canons, ses peurs, ses angoisses.

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

C’est donc la rencontre entre Alexandre et Diogène qu’expose le Musée du Louvre sur un marbre de Carrare (c’est la ville d’origine du marbre, pas l’artiste) réalisé par Pierre Puget (c’est l’artiste pas la ville d’origine du marbre). Environ 9m² pour retracer la rencontre du philosophe et du roi. D’abord notons que l’œuvre est assez mal placée dans le sous-sol entre les cours Marly et Puget, avec pour effet d’être vu sans être regardé et d’être assez mal éclairé. Pourtant nous retrouvons le même effet 2D-3D que sur les sarcophages romains.

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Pierre Puget c’est le sculpteur de Milon de Crotone ou de Persée et Andromède. Notons un goût certain pour les duos dans les œuvres de Puget. Ici le puissant Alexandre invité à faire un pas de côté pour le bronzage du plus pauvre de tous les philosophes. Il peut être intéressant de dresser des parallèles entre les hautes figures antiques et le commanditaire de ses sculptures : Louis XIV. Il me semble qu’il s’agit d’un charmant pied-de-nez qui va bien au-delà de l’effronterie. Milon l’homme le plus puissant mort comme un nigaud. Alexandre, le Grand qui n’effraie pas le pauvre Diogène. Pour votre façon de faire passer des messages à votre commanditaire, monsieur Puget, chapeau bas.

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Monsieur Puget, je me permets de laisser mon chapeau trainer un peu à terre pour saluer votre talent de sculpteur et votre goût du détail. Nous sommes sur du marbre de Carrare, à part le cœur de certaines femmes, rien de beaucoup plus dur à travailler. Et voilà notre Pierrot qui peaufine : Fourreau d’épée, clous des sabots et cotte de mailles. Tous les détails sont finement restitués.

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Pierre Puget apporte un soin et un réalisme extrême dans le rendu de sa sculpture. Alors on lui pardonne de donner de bien étranges proportions entre un poing et une tête, de faire pendouiller un pied mal fini sous la selle du cheval ou d’appliquer des proportions étranges sur les têtes de certains canassons.

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Et puisque nous parlons de chevaux, je ne peux passer à côté d’Alexandre sans évoquer Bucéphale. La renommée d’Alexandre fut telle que de nombreuses villes portèrent le nom d’Alexandre et ses dérivées. Il fut si grand que d’autres villes décidèrent de prendre le nom de son cheval, comme Bucéphalie (Boukephalous, aujourd’hui Phalia, au Pakistan). Bucéphale, comme Pégase, Morva’h, Sleipnir, Bayard, Rossinante, Vizir figure dans le panthéon des équidés. Quant à savoir pourquoi l’étymologie de Bucéphale est tête de bœuf, je laisse les experts s’écharper sur le sujet (c’est une image, je ne crois pas que les experts se foutent vraiment sur la gueule pour la mule d’Alexandre).

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Si vraiment vous êtes ferrés ou férus sur le bourriquet d’Alexandre vous savez que le chapitre CI de sa biographie par Plutarque vous donnera plein de réponses. Non, moi je vous offre bien plus, je vous propose d’aller voir le derrière Bucéphale :

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Aucun intérêt, nous sommes d’accord, mais bon, vous pourrez raconter que vous avez vu le derrière de Bucéphale, car je suis déjà certain que vous avez déjà oublié comment se prononce Diogène en grec ancien.

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Avant d’arriver à la plus grande moquerie de cette immense sculpture, je dois saluer mon personnage préféré. La bouche lippue, un double menton, un regard plus bête que méchant, un air d’être en colère. C’est le personnage entre le clodo et le cavalier.

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Je soupçonne Pierre Puget d’avoir introduit un second niveau de moquerie avec ce gras bonhomme qui peine à tenir la laisse du chien et qu’il a affublé d’un duo de plumes qui ressemblent à des flamberges.

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Il est d’ailleurs le seul ridiculement coiffé. Oh et puisque j’y suis, un petit coucou au plus ancien selfie identifié. Je dis selfie car sinon je comprends assez mal le lieutenant qui vient se coller joue contre joue avec Alex.

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Le sujet de Pierre Puget était une mise en garde à l’attention du Roi, mais la façon de le traiter en encore plus critique à l’égard de l’absolutisme royal. Alexandre n’est pas représenté dans une posture martiale, les bras tenant les rênes et l’épée. Il est tourné vers le cul de son poney. Surpris comme par coquetterie, avec une attitude de poseur. A l’inverse, celui qui a le bras long, c’est celui qui n’a rien. Rien à donner, mais aussi rien à perdre.

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

Alexandre et Diogène de Pierre Puget

C’est en fait une immense leçon d’humilité, encore une fois, que Puget adresse à Louis XIV. Grand monsieur et gros respect pour le marseillais (oui, Pierre Puget était de Marseille et je vous laisse à vos conclusions douteuses sur certaines huiles). On peut avoir dans son jardin les plus belles sculptures, les plus claires mises en garde et ne rien en faire. C’est un peu la conclusion des conseils de modestie que n’a jamais suivi Louis XIV. Et si vous ne me croyez pas, venez voir.


Sur le thème de Diogène au Musée du Louvre :

Diogène jetant son écuelle de Nicolas Poussin

Diogène jetant son écuelle de Nicolas Poussin

Diogène cherchant l'homme vrai d'Augustin Pajou

Diogène cherchant l’homme vrai d’Augustin Pajou

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